Voreppe

Poêmes d'André GIRARD

               Au petit Sem ...

Petit sixième, triste, d'avoir quitté ma mère 

Du car Ricou, j'apercevais le séminaire ...

Après m'être installé dans l'immense dortoir 

Dont les lits en métal gémissaient dans le noir,

Pour revoir les copains, je rejoignais la cour,

Où l' on jouait jusqu'à ce que meurt le jour.

Pendant que l'un des grands nous faisait la lecture 

En expurgeant le texte de toute idée impure,

Nous mangions, affamés, la soup' de pomm' de terre, 

Sans bien me souvenir quels étaient les desserts .

A propos de repas, je ne résiste pas 

A vous remémorer l'excellent tapioca, 

Visqueux, gluant à souhait servi dans nos assiettes,

Il fit de nous des hommes, que dis- je des athlètes !

Et que dire des soirs où avec émotion, 

On proclamait les notes de nos compositions ?

A vous mettre au plus bas le moral ou alors 

Pour un instant, se pavaner comme un cador .

A la récréation du soir, les sacristains,

Se dépêchaient pour la messe du lendemain

De préparer l'autel, les burettes et l'hostie 

Et pour goûter le vin,on cédait à l'envie !

Après s'être lavés, souvent à l'eau glaciale,

Nous nous acheminions de façon machinale 

A la messe où chacun achevait, en silence, 

Ses beaux rêves dans une douce somnolence.

C'est dans cette chapelle oh! combien magnifique 

Que l'évêque nous dit cette phrase historique :

''Venimus et vidimus stellam in orientem et adoremus Christus"

C'était son leitmotiv lorsqu' à l'Epiphanie 

Il passait sa journée en notre compagnie.

Mais l'essentiel du temps, nous le passions en classe 

Vas-y que je rabâche, vas-y que je potasse.

Apprenant le français, il fallait éviter 

Les auteurs à l' index, pour ne point nous choquer. 

Puis notre initiation au grec et au latin 

Fut pour moi quelquefois un bien rude chemin.

Tite live et Tacite n' étaient pas mes amis, 

Pas plus d'ailleurs qu'Homère 'qu'aujourd'hui j'apprécie.

En étude souvent, feuilletant mon Gaffio, 

J' ai maudit ces auteurs par crainte d' un zéro.

Il nous faudrait parler de tous nos professeurs ;

Se moquer de certains, encenser les meilleurs ...

Je veux juste évoquer le père Jean Godel

Qui par ses anecdotes rendait l' histoire plus belle ;

Et Gaston Rebreyant enseignait le français 

Tout en nous conduisant à la Sûre ou Chalais. 

Les maths avec Cazeau, je n' en ai rien compris 

Il couvrait le tableau d' étranges graffitis  

Quant aux "nou, nou" de Bin pour ajuster nos voix 

En chant, (ne) m' ont pas permis de faire des exploits.

Il nous faut saluer le meilleur des meilleurs,

Achille Rossero , le père supérieur.

Lorsque Mai arrivait, les rouges et les bleus 

S' affrontaient chaque année à la fête des jeux.

L'oisiveté étant la mère de tous les vices,

Il nous fallait d'un sport pratiquer l'exercice 

C' est à cette occasion que j'ai eu la passion

Du foot, ne faisant que de la figuration !

De même on ne pouvait éviter la chapelle, 

Il nous fallait avoir une vie spirituelle 

Tout en chantant le soir le salve regina,

Tantum ergo, et souvent in manus tuas.

Par chance, un directeur guidait notre conscience 

Absolvant nos péchés, nous faisions pénitence.

C 'était une autre époque, une autre éducation 

Qui n'a peut être pas produit des vocations 

Aussi nombreuses que souhaitées mais a permis 

De se réaliser, chacun, dans notre vie.

             André Girard  Voreppe, le  5 octobre 2018

 

 

                            La Nativité 

Enregistré par Bernard RIONDET :           

Ce que je vais te dire c’est pas du cinéma, 

Ma parole, même moi, j’y crois pas !

Hier soir, je rentrais à la cité, 

C’ était nuit, ça caillait ...

J’allais rentrer dans ma montée, 

Quand je vois un mec avec une nana à côté ;

C’est chelou !

Qu’est ce qu’ils viennent faire chez nous ?

J’m’approche 

Plein de reproches... 

Le mec : en survet’, pas rasé,

C’était pas un condé !

Mais alors la fille, putain, qu’elle était belle !

T’aurais dit une gamine, mais vraiment mortelle !

V’la le mec qui me dit :

« Ma caisse est en panne, j’ai pas de peze, je suis pas d’ici,

Ma nana est crevée, pt’être même qu’elle va faire son lardon,

Je ne sais pas où crécher. »

Là, je suis resté bouche bée.  

J’sais pas pourquoi j’lui ai pas dit «’cass-e toi bouffon» , 

Je lui ai répondu : «attends  mec, là dans la tour, y a un local

On y met les vélos, les poussettes, c’est pas royal,

Mais au moins y fera moins froid que dehors 

Parfois y’ a un clochard qui dort. »

Je monte chez ma mère, je lui chourave des couvertures 

Du pain et le pot de confiture,

Et je les installe peinards.

Tout de suite la fille s’est couchée, elle devait en avoir marre,

J’ allais partir quand elle s’est mise à pousser des petits cris 

Elle avait les mains sur son ventre, son visage était gris ; 

Son mec y savait pas quoi faire, 

On était là comme deux cons, à se taire.

Ca  m’ a fait peur ;

Alors je lui ai dit : « je vais appeler un docteur ! »  

Je suis parti un quart d’heure, 

Bien sûr je suis revenu sans docteur ...  

Il a cru que c’était une embrouille 

Ou il a eu la trouille.

Et quand je suis revenu, devine ce que je vois ? 

Ils étaient trois.

La nana, elle était redevenue  belle,

Son petit était contre elle.

Il avait les yeux ouverts j’ai cru qu’ il me regardait 

Il était basané, et je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à ce qu'un pote me disait :

« Y a longtemps, des arabes de Palestine,

Ont eu un gosse, dans une crèche au milieu de la vermine,

Il l’ont appelé Jésus …

Et figure- toi que plus tard il est devenu 

Le roi des chrétiens. »

Tu vas dire que je ne vais pas bien.

Peut-être que lui aussi, là dans la tour,

Parti de rien, il nous dira un jour : 

« Faut vous battre pour exister !

Et là, devant ce gosse, je me suis mis à espérer. »  

        André GIRARD     le 23 décembre 2008